Structures organisationnelles

Les organisations sont-elles à égalité face à l’apprentissage et l’innovation?

La nouvelle dynamique économique1 est portée par les organisations qui utilisent le savoir comme ressource clé.

Le savoir dans ces organisations est porté par les travailleurs du savoir, qui constituent le capital humain et une grande part de la valeur intangible de celles-ci.

Après une analyse du capital humain des organisations – les travailleurs du savoir -, nous nous demanderons quelles sont les sources et les déclencheurs d’apprentissages au sein des organisations.

Enfin nous examinerons les différents types de structures organisationnelles et ceux qui sont les plus efficaces pour l’apprentissage organisationnel et l’innovation.


Les travailleurs du savoir et la création de richesse

Qu’est-ce qu’un travailleur du savoir?

La paternité de l’expression «travailleurs du savoir» peut être attribuée à Peter Drucker2.

Initialement, le terme évocateur de « manipulateurs de symboles » a été utilisé. Robert Reich3, en 1991, détaille ce terme en décrivant les 3 catégories d’emplois du futur :

  • services de production courante,
  • services à la personne,
  • services de manipulation de symboles.

Il précise que les manipulateurs de symboles échangent des « données, mots, représentations orales et visuelles ».

Peter Drucker identifie le savoir comme une ressource.

Nonaka et Takeuchi4 parlent eux « d’équipage de la création de connaissances », en précisant que le savoir est à la fois une ressource et un « output », en insistant sur l’importance de la création de connaissance par cet équipage.

(Nonaka & Takeuchi, 1997) – La connaissance créatrice, La dynamique de l’entreprise apprenante4, p.173.

Les activités des travailleurs du savoir

Davenport identifie quatre modèles de processus du savoir5 :

Classification des processus nécessitant du savoir - 4 modèles, selon Davenport (2005) Thinking of Living, p.27
Classification des processus nécessitant du savoir – 4 modèles, selon Davenport (2005) Thinking of Living, p.27

Cette classification des processus du savoir de Davenport a permis à Jean-Pierre Bouchez6 de déterminer deux types de travailleurs du savoir, en fonction de la nature de l’activité dominante du travailleur du savoir :

Classification des travailleurs du savoir en fonction de la nature de l'activité dominante (Bouchez, Le management invisible - Autour des travailleurs du savoir, 2008), p.23 et 29.
Classification des travailleurs du savoir en fonction de la nature de l’activité dominante

Les travailleurs du savoir constituent les forces vives qui permettront la création de richesses et de valeur. Davenport précise que « les knowledge workers sont les locomotives qui tirent nos économies. Ils sont à l’origine de la croissance, des innovations, des prises de décision. Notre prospérité dépend de leur efficacité. »

(Davenport, 2005) : L’ère des « knowledge workers » – Les Echos, l’Art du Management 2/10 – 20 octobre 2005

Ces populations de travailleurs sont celles qui utiliseront le plus naturellement la technologie pour formaliser le savoir, en utilisant la capacité de stockage. Elles pourront d’autre part échanger ces savoirs à distance, d’une manière virtuelle lorsque cela s’avère nécessaire.

Identifions maintenant quelles sont les sources, les déclencheurs de l’apprentissage au sein des organisations.

Les sources et déclencheurs d’apprentissage au sein des organisations

Frédéric Carluer7 identifie les sources et déclencheurs de l’apprentissage, et la caractéristique endogène ou exogène de ceux-ci :

Sources et déclencheurs de l'apprentissage - (Carluer, 2009) Management et économie du savoir, p.81 citant (F. Le Roy, 2000) – processus d’apprentissage organisationnel et partage de compétences à l’occasion d’une fusion
Sources et déclencheurs de l’apprentissage – (Carluer, 2009) Management et économie du savoir, p.81 citant (F. Le Roy, 2000) – processus d’apprentissage organisationnel et partage de compétences à l’occasion d’une fusion

L’apprentissage organisationnel est soit imposé par les changements de l’environnement, les évolutions technologiques, la concurrence, soit dans le cadre d’une dynamique interne au sein de l’organisation, soit dans le cadre de partenariats, une alliance ou une fusion/acquisition.

Il prend son origine en réaction à un événement (déclencheur) lié à l’environnement, ou lié à un dysfonctionnement, ou en pro-action  (source d’apprentissage) comme l’expérience, l’innovation, les stratégies d’alliance, l’intégration des technologies.

Typologie des apprentissages - (Carluer, 2009) Management et économie du savoir
Typologie des apprentissages – (Carluer, 2009) Management et économie du savoir

L’idéal organisationnel est un apprentissage actif, et si possible endogène. Il consiste à « favoriser un maximum l’apprentissage endogène actif à l’origine d’innovations processuelles. Les améliorations sont (…) de nature incrémentales (phénomène de ‘boucle’ et s’avèrent radicales lorsque l’apprentissage cognitif se traduit par une mise à plat des routines organisationnelles. »7

(Carluer, 2009) Management et économie du savoir, p.817

Pour faire face à la complexité croissante de l’environnement, les facteurs clés de succès consistent à mettre en œuvre l’apprentissage actif avec des stratégies en faveur de l’innovation, l’amélioration des processus, l’expérimentation, ou l’apprentissage organisationnel.

L’article « Du savoir individuel à l’apprentissage organisationnel, un petit pas vers l’innovation » décrit les caractéristiques de l’organisation apprenante et décrit le processus à l’œuvre pour l’apprentissage organisationnel.

Posons-nous maintenant la question de savoir quel serait l’impact de la structure de l’organisation sur sa capacité à apprendre et à innover.

Les organisations sont-elles toutes armées de la même manière pour réussir l’apprentissage organisationnel et l’innovation? En fonction de leur structure, identifions comment elles peuvent réussir à apprendre et innover.

Les structures des organisations

Les caractéristiques de la culture sont primordiales pour que les individus ou les organisations puissent développer le partage, l’échange, la collaboration ou le transfert des savoirs. Les structures organisationnelles découlent souvent de la culture en place. L’analyse des différents types de structures organisationnelles permet d’identifier les forces et faiblesses des organisations, sans pour autant définir les modifications nécessaires qui permettrait à ces organisations-types de faire face aux faiblesses constatées. Les modifications nécessaires sont probablement associées à un changement de culture, qui pourrait déclencher dans son processus un changement de structure organisationnelle.
Henry Mintzberg a défini 7 formes organisationnelles8 :

  1. L’organisation entrepreneuriale (entreprises jeunes ou PME), fonctionnant sur le mode de la supervision directe par un ou quelques dirigeants
  2. L’organisation mécaniste ou bureaucratie industrielle. La coordination est fondée sur la standardisation des procédés et des postes spécialisés d’un niveau de compétence faible
  3. l’organisation divisionnaire constituée d’unités par couples produits – marchés (grandes entreprises industrielles et conglomérats ; Du Pont de Nemours, General Motors)
  4. L’organisation politique centrée sur les conflits de pouvoirs
  5. la bureaucratie professionnelle. La coordination est fondée sur la normalisation des compétences et non des procédés avec un fort niveau d’autonomie des opérationnels
  6. l’adhocratie ou organisation innovatrice (activités tournées vers l’innovation avec des personnes hautement qualifiées) – l’industrie aérospatiale, la pétrochimie, le conseil. La coordination est fondée sur la communication informelle et l’ajustement mutuel.
  7. l’organisation missionnaire centrée sur l’idéologie de l’organisation, la forte culture (Toyota, Hewlett Packard). La coordination est fondée sur la standardisation des normes et des croyances.

Mintzberg, 2010) Le management – Voyage au cœur des organisations8 ; présentation synthétique dans (Collectif, 2005) Les organisations9, p.75

                        

 

Caractéristiques culturelles des structures organisationnelles

L’organisation entrepreneuriale

 L’organisation entrepreneuriale8 est « simple, informelle, flexible ; les fonctionnels de supports logistiques et la ligne hiérarchique sont peu développés. Les activités sont réalisées autour du chef d’entreprise qui exerce le contrôle personnellement à travers la supervision directe. »

(Mintzberg, 2010) Le management – Voyage au cœur des organisations8 p.214

Elle est représentative des petites organisations. Le pouvoir y est centralisé, le dirigeant prend des décisions rapidement, et réagit aux perturbations et à l’innovation dans une stratégie intuitive.
La formalisation et la diffusion du savoir dans ce type d’organisation n’est pas une priorité : Le dirigeant souhaite conserver le savoir et le pouvoir.
Cette forme particulière d’organisation constitue à la fois une force et une faiblesse pour répondre aux enjeux de l’environnement : Les décisions stratégiques et opérationnelles sont concentrées au niveau de la direction, ce qui permet une grande flexibilité et adaptabilité de l’organisation. Cela constitue sa force. Tout réside dans la capacité du dirigeant à répondre aux enjeux. Seulement, si le dirigeant est dépassé par les changements et la complexité de l’environnement, cela constitue la faiblesse de ce type d’organisation.
Du point de vue des valeurs de ce type d’organisation, les aspects suivants peuvent limiter ses capacités futures à innover ou apprendre :

  • Pas de partage du savoir (concentré au niveau du dirigeant)
  • Les informations sont échangées d’une manière informelle (non explicite)

La connaissance explicite est transmissible dans un langage formel, codifiée et diffusable. Elle est stockée dans des bibliothèques, documents, archives.

  • Peu de collaborateurs (peu de liens potentiels entre les individus, l’usage de la technologie entre les acteurs est peu susceptible de créer de la valeur)

Selon la loi de Metcalfe, plus le nombre de personnes augmente au sein d’un réseau, plus il prend de valeur; « la rentabilité marginale d’un réseau est croissante avec le nombre de personnes raccordées, le coût unitaire de raccordement restant quasiment constant. »7

(Repris de (Carluer, 2009) Management et économie du savoir7 dans sa présentation des lois de mutation technologiques Moore et Metcalfe ; p.84).

  • Elle repose sur la capacité du dirigeant à prendre en compte le changement et la complexité de l’environnement.

L’organisation mécaniste

L’organisation mécaniste8 est « une bureaucratie* centralisée, dont les procédures sont formalisées, le travail spécialisé**, la division du travail poussée à l’extrême », les domaines d’activités regroupés par métiers ou fonction, la « hiérarchie y est importante ».

(Mintzberg, 2010) Le management – Voyage au cœur des organisations8  p.239

* Le terme bureaucratie n’a pas ici de connotation péjorative.

** Le travail est rationalisé, sans pour autant être automatisé.

« La technostructure est (…) chargée de standardiser les procédés de travail8 » indépendamment de la ligne hiérarchique. Le travail est très formalisé et planifié, avec une obsession du contrôle de l’efficience de la tâche.

Ces valeurs culturelles sont associées à la prédominance de l’usage du cerveau rationnel, cela sera démontré dans un prochain article.

Elle est représentative des organisations de grande taille et âgées, au sein d’un environnement simple et stable, qui produisent des biens et des services de masse, mais aussi les administrations et les entreprises de contrôle et de sécurité.
Cette forme d’organisation est « efficace, sûre, précise, cohérente » ; cependant, sa structure la rend difficilement adaptable à un environnement changeant, en raison de problèmes de coordination entre les domaines d’activités. Cette « résistance au changement stratégique nécessite de revêtir la forme d’une organisation innovatrice pour se revitaliser, ou celle de l’organisation entrepreneuriale en cas de besoin de redressement8. »

Mintzberg, 2010) Le management – Voyage au cœur des organisations8  p.240

La hiérarchie a l’autorité formelle sur les unités opérationnelles, mais ne dispose pas de tous les pouvoirs : « l’organisation mécaniste dépend de la standardisation de ses procédés de travail » qui sont définis pas les analystes de la technostructure. Ces spécialistes n’ont pas d’autorité formelle mais « disposent d’un pouvoir informel considérable en ayant la responsabilité de la standardisation du travail de tous les autres membres de l’organisation ».

(Mintzberg, 2010) Le management – Voyage au cœur des organisations8  p.242 et 243

L’obsession de l’organisation mécaniste est le contrôle, intégrée dans la culture, dans le but d’éliminer les incertitudes pour un fonctionnement en douceur ; d’éliminer les conflits, par un contrôle plus strict, contrairement à une structure ouverte ou les conflits sont exprimés pour les résoudre.

« Les managers du sommet stratégique ont un pouvoir considérable »267. La structure est relativement centralisée, au sommet « réside le savoir ». Le savoir formalisé, qui est éclaté au travers toute l’organisation est réuni au sommet de la hiérarchie.

(Mintzberg, 2010) Le management – Voyage au cœur des organisations8  p.247

Dans une telle organisation fiable et facile à contrôler, l’acteur réalise des tâches simples et répétitives, avec précision et constance. Il n’a pas de latitude pour prendre des initiatives, la pensée, la direction, et le but viennent de l’extérieur. Dans une telle structure, l’objectif n’est pas de favoriser l’innovation des acteurs. Si elle existe, elle émane du sommet.

Henry Mintzberg parle même de gâchis et de destruction du sens même du travail, générant absentéisme, turn-over, grèves… (Mintzberg, 2010) Le management – Voyage au coeur des organisations8  p.256

Il s’agit là de faiblesses pour ce type d’organisation, qui ne lui permettent pas de s’adapter à un environnement changeant ou complexe. La manière dont fonctionne la structure est en contradiction avec les facteurs clés de succès de ce contexte. En effet, la contribution collective des acteurs, la construction des savoirs à partir des échanges hors des flux de processus ou hiérarchiques apparaissent comme :

  • une menace pour le pouvoir des managers et le savoir consolidé au sommet (non partagé),
  • un danger générateur d’incertitudes pour le fonctionnement mécanique de la structure,
  • une contradiction avec le contrôle de l’efficience de la tâche.

La technostructure qui dispose d’une grande liberté face aux unités opérationnelles, en ayant la responsabilité de la standardisation du travail. A ce titre, les acteurs de la technostructure ont à leur disposition :

  • une part importante du savoir formalisé,
  • une grande liberté pour innover et améliorer l’efficience du fonctionnement de la structure mécanique

La technostructure est un contexte où l’innovation et l’apprentissage organisationnel pourrait peut-être apparaître. Cependant, la segmentation des activités génère des barrières, gène la communication et la coordination. « Chaque unité devient jalouse de ses propres prérogatives et trouve des moyens de se protéger contre la pression ou les interférences des autres. »

(Mintzberg, 2010) Le management – Voyage au coeur des organisations8  p.257

Le savoir est lui aussi segmenté et jalousement conservé, au sein des différentes activités. Il est représentatif de la fonction et du pouvoir de l’activité, le partager à l’extérieur de l’activité est contraire à la logique des acteurs de ces activités. L’innovation et l’apprentissage organisationnel se trouvent ici en terrain défavorable.

La mise en œuvre des outils technologiques dans un tel contexte avec l’ambition de résoudre ces problèmes, ne résout rien : Les projets de gestion de la connaissance, du fait de la réticence des acteurs à partager leur savoir seront inefficaces ; l’injection de l’outil technologique dans les incohérences et les dysfonctionnements d’un existant rigide et cloisonné n’aura pas d’effet sur l’amélioration du fonctionnement de celui-ci.

Les limites des projets de gestion de la connaissance et des outils informatiques seront abordées dans un prochain article.

Dilbert (25/12/2006)
Dilbert (25/12/2006)

Un espoir réside. Si le changement stratégique, auquel ce type de structure résiste tant, devient incontournable, la structure doit se transformer en organisation innovatrice pour se revitaliser (ou entrepreneuriale pour être redressée).
Cette transition impose à la structure une nouvelle capacité à apprendre. L’organisation innovatrice implique un apprentissage du savoir décentralisé, dans un contexte complexe.
C’est alors l’occasion, pour accompagner ce bouleversement stratégique vers une organisation innovatrice (quitte à redevenir mécaniste dans un futur où l’entreprise retrouvera un environnement stable), de mettre en œuvre les changements culturels favorables pour réaliser cette transition. L’outil technologique peut être mis en œuvre dans le cadre d’un objectif opérationnel lié à cette transition.

L’organisation divisionnalisée

L’organisation divisionnalisée est structurée en divisions autonomes dans la conduite de leurs activités. Chaque division est orientée sur son marché, mais reste soumise au système de contrôle des performances avec standardisation des résultats. Les divisions ont très peu de liens entre elles. La forme aboutie de cette structure est le conglomérat. Elle est typique des organisations anciennes et de grande taille et répond à une logique de gestion de portefeuilles.

La tendance de ce type d’organisation est de structurer chaque division dans une configuration mécaniste, comme instrument du siège8. Les divisions optimisent leur « machine bureaucratique » et le siège se concentre sur son « portefeuille stratégique »8 .

(Mintzberg, 2010) Le management – Voyage au cœur des organisations8  p.278 et p.295

La direction du siège définit la stratégie du groupe et gère les divisions comme un portefeuille d’affaires en répartissant les risques sur différents marchés.
Henry Mintzberg précise que « La diversification du conglomérat rend coûteuse et décourage l’innovation (…) Le système de contrôle des performances risque de conduire l’organisation à un comportement social insensible ou irresponsable ». Il indique également que « le système de contrôle semble étouffer toutes les aspirations à l’innovation. C’est toujours les ‘résultats financiers’ qui créent le problème, encourageant une réflexion à courte vue ; l’attention est concentrée sur la carotte juste devant leurs yeux et non sur le champ de carottes qui est juste derrière (…). ».

(Mintzberg, 2010) Le management – Voyage au cœur des organisations8  p.298

L’organisation divisionnalisée a les défauts de l’organisation mécaniste pour chacune de ses divisions. De plus, la logique de segmentation de la structure est encore plus forte puisque les divisions sont autonomes, même si elles restent soumises au système de contrôle des performances. Les enjeux face à l’environnement complexe et changeant dans un tel contexte sont les mêmes qu’au sein de l’organisation mécaniste, avec la faiblesse supplémentaire de la segmentation des divisions. Il est difficile de générer des synergies entre les divisions, car la structure est peu favorable à l’émergence de l’innovation ou de l’apprentissage organisationnel. En effet, les individus et les domaines d’activités n’ont aucune raison et ne cherchent pas particulièrement à entrer en relation avec des personnes d’autres divisions et à partager leur savoir.

L’organisation politique

L’organisation politique est centrée sur les conflits de pouvoir. Henry Mintzberg évoque l’organisation politique comme une organisation malade de ses jeux de pouvoirs.

(Mintzberg, 2010) Le management – Voyage au coeur des organisations8  p.415

Ces jeux s’inscrivent dans les besoins des individus et des groupes au sein de l’organisation. Ces besoins sont physiques (excès de contrôle, défense de territoire, pillage des groupes concurrents), et émotionnels (prédominance du statut et des privilèges, satisfaction du groupe uniquement au détriment des autres).

Un prochain article détaillera ces besoins physiques et émotionnels liés à la culture et correspondant aux travaux de Richard Barrett.

Il semble que la priorité de ce type d’organisation soit de résoudre ses problèmes de lutte interne et de jeux de pouvoirs, et de revenir à une configuration plus classique, avant de d’être en mesure de prendre en compte les problématiques de l’environnement. Les besoins physiques et émotionnels de cette structure organisationnelle ne sont pas comblés pour les groupes et les individus. Ils s’opposent donc aux valeurs culturelles requises pour faire mettre en place une stratégie d’apprentissage organisationnel et d’innovation :

  • Le manque de confiance et les tentatives de contrôle et de défense des territoires contrecarrent la culture du partage, de l’échange et l’ouverture aux autres
  • Les avis divergents sont combattus, le sacrifie de la vérité et de la créativité au sein du groupe en lutte contrecarre l’intuition et la créativité nécessaires à l’innovation. Si une idée divergente apparaît, elle ne bénéficie pas d’un terrain favorable à sa concrétisation sous la forme d’innovation et risque de disparaître durant les luttes internes.

Malgré cela, cette forme de structure reste très spécifique. Il est donc difficile de définir si elle est en capacité d’apprendre et d’innover.

La bureaucratie professionnelle

La bureaucratie professionnelle s’appuie sur la standardisation des qualifications (réalisée au travers de la formation). Les collaborateurs sont des spécialistes formés, qui disposent d’une autonomie et une « latitude considérable dans le contrôle de leur propre travail ».

(Mintzberg, 2010) Le management – Voyage au cœur des organisations8  p.311

Elle évolue dans un contexte complexe, mais stable, souvent dans le secteur des services.
La structure fonctionne comme un « système de classement », avec des stratégies fragmentées mais avec une nécessaire cohésion, « adoptées par un jugement professionnel et un choix collectif ».

Dans ce type de structure, la coordination a lieu en ayant recours à la standardisation des qualifications mais il existe des « problèmes de coordination entre les différents classements, de mauvais emplois des disponibilités professionnelles, de répugnance à innover ».

L’organisation professionnelle réalise des diagnostics, et associe l’analyse à un cas prédéfini, qui correspondra à un programme standard.

Elle se distingue de l’organisation mécaniste qui exécute, quant à elle, une suite de programmes standards, sans qu’il n’y ait de phase de diagnostic.

Si le diagnostic doit être complet et nécessite une solution créative, c’est l’organisation innovatrice qui saura répondre à ce type de besoin car il n’existe pas de cas standard ou de programme standard que l’organisation professionnelle puisse utiliser.

Il peut exister des enclaves mécanistes au sein de l’organisation professionnelle, en particulier les fonctions de support logistique pilotées par une hiérarchie pyramidale et au service des professionnels.

Le professionnel (voir le chapitre précédent sur les travailleurs du savoir) agit souvent d’une manière indépendante de ses collègues et reste proche des clients qu’il sert. C’est la standardisation des qualifications et du savoir qui détermine la coordination de la structure. La formation initiale du professionnel, ainsi qu’une période d’apprentissage individuel permettent l’intériorisation*** d’un ensemble de procédures et de savoirs. Ces standards sont définis à l’extérieur de la structure, dans le cadre de communautés ou d’ « associations » indépendantes, auxquelles le professionnel appartient avec des collaborateurs d’autres organisations.

*** Au sens où cela a été défini dans le chapitre « La spirale de création des savoirs » de l’article « Du savoir individuel à l’apprentissage organisationnel, un petit pas vers l’innovation« 

L’expression de l’autorité est de nature professionnelle ; il s’agit du pouvoir de la compétence8.

(Mintzberg, 2010) Le management – Voyage au cœur des organisations8  p.314

Ces caractéristiques de fonctionnement démocratique (entre professionnels) et d’autonomie, peuvent poser pour la structure des problèmes de coordination (parce que les professionnels ont un pouvoir et une autonomie considérable), de contrôle (pour les mêmes raisons) et d’innovation (parce qu’il y a peu de coopération).

Les innovations « dépendent de la coopération » et de l’« action collective ». La faible volonté « des professionnels à coopérer entre eux » et la complexité de l’action collective peut générer une « résistance à l’innovation ». Les bureaucraties professionnelles sont des « structures de performance conçues pour perfectionner des programmes donnés dans un environnement stable, et non pas des structures de résolution de problèmes tendant à créer de nouveaux programmes pour des besoins imprévus. »

(Mintzberg, 2010) Le management – Voyage au cœur des organisations8  p.338

L’adhocratie ou organisation innovatrice

L’organisation innovatrice se caractérise par ses équipes pluridisciplinaires de spécialistes, d’experts fonctionnels, mises en place pour réaliser des projets innovateurs. Le mécanisme de coordination au sein de ces équipes est l’ajustement mutuel et une structure matricielle.
Elle fonctionne au sein d’environnements complexes et dynamiques, comme les technologies de pointe, les changements de produits à rythme élevé, les grands projets temporaires.
Elle est très efficace pour l’innovation, si elle évite « les pièges de la structure bureaucratique et notamment la division poussée du travail, la différentiation marquée entre les unités, les comportements trop formalisés et l’utilisation intensive des systèmes de planification et de contrôle »8 .

(Mintzberg, 2010) Le management – Voyage au cœur des organisations8  p.353

L’adhocratie est décentralisée et flexible, le pouvoir est fondé sur la compétence et non l’autorité, ce qui génère de l’agressivité et des conflits au sein des équipes. L’enjeu consiste à canaliser ces « fluctuations », pour générer un « chaos créatif ».

Ces deux termes « fluctuation » et « chaos créatif » constituent une des cinq conditions pour permettre la création de connaissances organisationnelles. Ces cinq conditions sont détaillées dans le chapitre « Les conditions permettant la création des connaissances organisationnelles » de l’article « Du savoir individuel à l’apprentissage organisationnel, un petit pas vers l’innovation« .

Les 5 conditions ont été énoncées par (Nonaka & Takeuchi, 1997) La connaissance créatrice – la dynamique de l’entreprise apprenante4.

Henry Mintzberg évoque la formation de la stratégie suivant un modèle de type « enracinement » :

  • « Les stratégies poussent initialement comme le chiendent dans le jardin, elles n’ont pas besoin d’être cultivées comme les tomates dans une serre.
  • Ces stratégies peuvent prendre naissance dans n’importe quel type d’endroit, pratiquement n’importe où, là où il existe des personnes ayant la capacité d’apprendre, et les ressources nécessaires pour soutenir cette capacité.
  • De telles stratégies finissent par être adoptées par l’organisation lorsqu’elles deviennent collectives, c’est-à-dire lorsque les modes d’action prolifèrent pour envahir le comportement de l’organisation dans son ensemble.
  • Les processus de prolifération peuvent être conscients mais n’ont pas besoin de l’être ; de la même façon, ils peuvent être gérés mais n’ont pas besoin de l’être.
  • Les nouvelles stratégies qui peuvent émerger continuellement tendent à pénétrer l’organisation pendant les périodes de changement qui ponctuent les périodes de continuité plus intégrées.
  • Gérer ce processus n’est pas préconcevoir les stratégies mais reconnaître leur émergence et intervenir au moment approprié. »

(Mintzberg, 2010) Le management – Voyage au cœur des organisations8  p.376

La stratégie d’enracinement s’oppose à la stratégie délibérée de la formulation de la stratégie. Henry Mintzberg qualifie la stratégie d’enracinement de modèle d’apprentissage et l’associe à l’image du jardin ; il qualifie la stratégie de la formulation de la stratégie de modèle de planification et l’associe à l’image de la serre.

La stratégie d’enracinement peut être illustrée ainsi :

« En bons jardiniers, les Japonais ont compris bien avant nous que pour favoriser la germination des idées, il fallait se préoccuper de la qualité de l’humus, sans s’inquiéter de savoir ce qui allait pousser »

Propos de Jean-Michel Saussois, enseignant EAP-ESCP; propos recueillis dans (Liaisons sociales n°66) novembre 2005.

 L’organisation missionnaire

L’organisation missionnaire se construit autour d’une idéologie.
L’idéologie est un « système riche de valeurs et de croyances »8  qui prend sa source dans le sens d’une mission, associée à un leadership charismatique. Les individus se regroupent autour de ce leader parce qu’ils partagent les valeurs associées à cette organisation naissante.

(Mintzberg, 2010) Le management – Voyage au cœur des organisations8 p.390

L’idéologie se développe avec le temps au travers des traditions et des sagas qui permet à l’organisation d’acquérir une identité distincte, de devenir une « institution ».
Elle se renforce par un processus d’identification des nouveaux membres au système de croyances en place. Les individus s’identifient alors soit d’une manière naturelle (ils adhèrent au système de croyances de l’organisation), soit sélective (ils sont choisis par l’organisation « suivant leur adéquation avec le système de croyance existant »), soit suscitée par des processus informels de socialisation et d’endoctrinement. Ils développent leur loyauté à l’organisation (les individus promus ont prouvé une loyauté forte et marquée aux valeurs et croyances).

D’après (Mintzberg, 2010) Le management – Voyage au cœur des organisations8 p.392 et suivantes

Elle peut être un « vernis » qui recouvre les configurations traditionnelles telles que la configuration entrepreneuriale, innovatrice, professionnelle ou mécaniste.
La coordination est assurée par la « standardisation des normes », renforcée par « la sélection, la socialisation et l’endoctrinement de ses membres ».
L’organisation est constituée de petites unités, organisées de façon assez souple et hautement décentralisées, mais soumises à de puissants contrôles normatifs, dont les standards peuvent profondément interiorisés***.

*** Au sens où cela a été défini dans le chapitre « La spirale de création des savoirs » de l’article « Du savoir individuel à l’apprentissage organisationnel, un petit pas vers l’innovation« 

Cette standardisation des normes est si puissante que les autres formes de coordination par la standardisation des procédés de travail ou des qualifications ou même l’ajustement mutuel ont moins d’influence.

Les entreprises japonaises sont représentatives de cette ferveur idéologique des salariés et leur attachement. Henry Mintzberg cite les auteurs Ouchi et Jeager qui opposent la grande entreprise type américaine (Type A) à sa contrepartie japonaise (Type J) :

Comparaison des entreprises de type A (américaine) et J (japonaise) selon Ouchi et Jaeger (Mintzberg, 2010) Le management – Voyage au coeur des organisations p.410
Comparaison des entreprises de type A (américaine) et J (japonaise) selon Ouchi et Jaeger (Mintzberg, 2010) Le management – Voyage au cœur des organisations p.410

(Mintzberg, 2010) Le management – Voyage au cœur des organisations8 p.410

Henry Mintzberg porte le jugement suivant sur les organisations missionnaires face aux organisations occidentales :

« Les tendances du monde des affaires en Amérique depuis plusieurs décennies – ce que l’on a appelé le management « professionnel » qui mettait l’accent surtout sur les techniques et la rationalisation ou encore la mentalité « résultats financiers » – ont certainement contrecarré le développement d’idéologie organisationnelle. Il est certain que la configuration missionnaire n’est pas à la mode en Occident et en particulier aux États-Unis. Mais l’idéologie peut avoir un rôle important à jouer ici compte tenu de l’énorme succès d’un grand nombre d’entreprises japonaises en concurrence avec les entreprises américaines organisées sur la base de configurations divisionnalisées ou mécanistes, et dotées d’une culture stérile. C’est pourquoi, nous pourrions espérer un plus grand développement de l’idéologie dans les formes traditionnelles des organisations du monde occidental. Mais cela (…) peut être à la fois pour le meilleur et pour le pire. »

(Mintzberg, 2010) Le management – Voyage au cœur des organisations8 p.414

Les structures organisationnelles face à l’apprentissage et l’innovation

Dans le chapitre précédent, chacune de ces formes organisationnelles a été passée en revue. Leurs capacités d’adaptation aux contextes de l’environnement ont été identifiées. Ces structures sont des formes types ; il peut exister des structures hybrides, comme par exemple l’organisation missionnaire calquée sur une organisation innovante ou mécaniste, ou des enclaves d’un certain type au sein d’une organisation globalement d’un autre type. Par exemple, un constructeur automobile de type organisation mécaniste, peut disposer en son sein une enclave innovatrice pour son département de design de nouveaux véhicules.

L’analyse de l’organisation entrepreneuriale montre que son point faible concerne l’apprentissage organisationnel, le savoir étant détenu par le dirigeant, non partagé et peu formalisé. Son adaptation à l’environnement dépend uniquement de la capacité du dirigeant de l’organisation.

L’organisation mécaniste fait obstacle à la réussite de stratégies en faveur de l’innovation et de l’apprentissage organisationnel, de la capitalisation, la formalisation et l’organisation du transfert des savoirs, de la facilitation des interconnections, de l’interactivité et de la reconnaissance de l’inventivité des idées. Elle n’est pas en mesure de mettre en œuvre les principes d’ouverture, de collaboration, de partage, d’action globale¹.

En référence au chapitre « Vers une économie massivement collaborative » de l’article « Savoir et économie, une clé pour l’innovation ? « ¹.

Comme l’organisation mécaniste, l’organisation divisionnalisée détient de nombreuses faiblesses qui s’opposent à la réussite des stratégies suivantes en faveur de l’innovation et de l’apprentissage organisationnel : capitalisation, formalisation et organisation du transfert des savoirs, facilitation des interconnections, interactivité et reconnaissance de l’inventivité des idées. Elle n’est pas en mesure de mettre en œuvre les principes d’ouverture, de collaboration, de partage, d’action globale¹.

Elles sont particulièrement marquées par une dominance du quadrant limbique gauche (organisation, contrôle, planification) et cortical gauche (logique, analytique).

en référence à l’article sur la culture des organisations – à venir…

Elles ont de nombreux points faibles tels que la division des tâches et l’obsession du contrôle, les savoirs (segmentés au sein des domaines d’activités et consolidés uniquement au niveau de la direction) sont non partagés et représentatifs du pouvoir de l’activité qui les détient.

Pour l’organisation politique, les manques dans les besoins physiques et émotionnels, semblent être des handicaps pour permettre à l’organisation à mettre en œuvre des principes de partage, d’ouverture et de collaboration.

Pour la bureaucratie professionnelle, l’apprentissage, la capitalisation, la formalisation et l’organisation du transfert des savoirs, la facilitation des interconnections, l’interactivité existent bien entre les professionnels de même catégorie, mais peut échouer au niveau de l’organisation en raison des problèmes de coordination évoqués. Les principes d’ouverture, de collaboration, de partage, d’action globale sont souvent mis en œuvre par chaque catégorie de professionnels avec les pairs des communautés de même qualification et de savoir, mais pas d’une manière globale pour l’organisation.

L’adhocratie ou l’organisation innovatrice est la plus efficace pour s’adapter à un environnement changeant et complexe et détient les forces requises pour mettre en place des stratégies de réussite en faveur de l’innovation.
Les motivations associées à la formation de la stratégie d’enracinement utilisée par ce type d’organisation sont les suivantes :

  • L’organisation n’est plus dans l’excès de contrôle (besoin physique de sécurité n°1)
  • L’organisation vit dans l’ouverture (confiance, vérité, leçon de l’échec) ; (besoins mentaux n°4)
  • L’organisation valorise la confiance, l’esprit communautaire, la cohésion, la prise de risques (besoins spirituels n°5)

en référence à l’article sur la culture des organisations – à venir…

Les innovations dans un tel contexte font appel à des facultés liées à une dominance du quadrant cortical droit, favorable à l’intuition et la créativité et dans une moindre mesure, au quadrant limbique droit, favorable à la communication et les échanges.

en référence à l’article sur la culture des organisations – à venir…

L’apprentissage, la capitalisation, la formalisation et l’organisation du transfert des savoirs, la facilitation des interconnections, l’interactivité existe bien au sein de l’organisation innovatrice. L’organisation innovatrice a les capacités de mettre en œuvre les principes d’ouverture, de collaboration, de partage, d’action globale¹.

En référence au chapitre « Vers une économie massivement collaborative » de l’article « Savoir et économie, une clé pour l’innovation ? « ¹.

Suivant les valeurs et les croyances qu’elle détient, l’organisation missionnaire peut être en mesure d’intégrer les évolutions de l’environnement, et ceci d’une manière particulièrement efficace (intériorisation des normes); elle peut aussi échouer, si ces valeurs et croyances ne sont pas celles requises pour faire face à ces enjeux. Pour s’adapter à un changement de l’environnement qui nécessiterait un changement dans les valeurs de l’organisation, les valeurs existantes intériorisées font obstacle à une nouvelle idéologie et sont particulièrement difficile à faire évoluer. Elle nécessite alors un leadership fortement charismatique avec un sens aigu de la mission.

En conclusion

Les formes de structures organisationnelles telles que l’adhocratie ou l’organisation missionnaire (avec les valeurs et croyances conformes à celles qui ont été identifiées) sont les structures organisationnelles idéales pour favoriser l’apprentissage organisationnel et l’innovation. L’organisation missionnaire, avec l’intériorisation des normes, peut être un « vernis » sur l’organisation innovatrice, qui la rendrait alors des plus efficace.

 

Stéphane ROSSIGNOL

CC BY Creative Commons
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Stéphane ROSSIGNOL, titulaire des droits autorise toute exploitation de l’œuvre, y compris à des fins commerciales, ainsi que la création d’œuvres dérivées, dont la distribution est également autorisé sans restriction, à condition de l’attribuer à son l’auteur en citant son nom.


(1) Lire l’article Savoir et économie, une clé pour l’innovation ?

(2) (Drucker, 1993) Au-delà du capitalisme – La métamorphose de cette fin de siècle

(3) (Reich, 1993) L’économie mondialisée, p.163

(4) (Nonaka & Takeuchi, 1997) – La connaissance créatrice, La dynamique de l’entreprise apprenante

(5) (Davenport, 2005) Thinking of Living

 (6) (Bouchez, Le management invisible – Autour des travailleurs du savoir, 2008)

(7) (Carluer, 2009) Management et économie du savoir

(8) Mintzberg, 2010) Le management – Voyage au coeur des organisations

(9) (Collectif, 2005) Les organisations

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